“Dis maman, pourquoi tu m’as embauché ?” Série de discussions entre mère et fille.

Prendre la décision d’embaucher sa propre fille alors que nos rapports sont détestables à ce moment-là…Pourquoi cette folie ? Pourquoi prendre le risque de t’amener dans mon entreprise, mon antre, et te donner potentiellement l’occasion de tout détruire, de me rendre la vie difficile au travail comme tu l’as fait à la maison ?

Là-bas c’est « mon petit monde à moi », celui que je me suis créé année après année exactement comme je le voulais. Là-bas les personnes qui m’entourent me respectent, tout comme je les respecte, mieux, je dirais même qu’on grandi ensemble. Là-bas c’est un monde où on s’écoute, on se parle gentiment, on est tous dans le même bateau. Le contraire de la maison qui est devenue un enfer depuis quelques années…je dirais même plus précisément depuis tes 14 ans et ma volonté de tenir bon face à toi.

Nous sommes en 2020, tu es en terminale, ou plutôt tu devrais être. Le covid est passé par là, cela fait des mois que tu ne vas plus au lycée, que tu erres à la maison sans nous calculer, que tu nous nargues avec ta flemme liée à ton âge alors que nous tentons, ton père et moi de garder le cap dans notre travail, devenu un véritable cahot. Le fossé entre toi et nous se creuse un peu plus tous les jours…les longs silences s’intercalent entre nos disputes.

C’est l’année de ton bac, que tu ne passeras pas. Ça aussi le covid te l’a volé. Ce moment, de trouille et d’excitation, cette échéance que l’on attend comme une gloire, une finalité et une délivrance, le sésame pour quitter tes parents et voler vers ta propre vie. Enfin c’est ce que tu crois.

Cette année-là, le bac est « donné » aux élèves selon leurs résultats de contrôle continu même s’ils n’ont pas eu le temps d’en passer beaucoup.

Tu l’as eu avec mention et on ne s’en réjouit pas à la hauteur. C’est le moment de faire des choix pour ton avenir. Faut-il parler de parcours sup ? franchement si cet outil est sensé donné l’opportunité au plus grand nombre de continuer leurs études, j’y vois plutôt une grande toile d’araignée dans laquelle il est difficile de se dépêtrer. Le nombre de vœux possible est juste impressionnant et pourtant, venu le moment des réponses, ta récolte de « oui » est bien maigre alors que tu étais plutôt une bonne élève… je me demande ce qu’il en est pour les autres, ceux qui ont eu plus de difficultés que toi à l’école, ils sont nombreux, comment font-ils pour obtenir une place ?
Je ne comprendrai que trop tard que la voie que je t’ai largement conseillée (voir obligé) de suivre, celle d’une filière générale ES n’était pas la meilleure pour t’aider à obtenir une place en BTS ou DUT, les études courtes et concrètes dont tu avais envie.

Tu veux gagner ta vie, ton indépendance. Ton choix de faire de l’alternance te sauve de parcours sup. Dans le cas où tu paies ta place parce que tu bosses (c’est un raccourci, parce que ceux qui paient en réalité sont les OPCO des entreprises), les écoles t’ouvrent grand les portes. Tu obtiens alors une place à l’IUT de Marseille, il te reste à trouver une alternance, ce qui est loin d’être une mince affaire. Avec le covid les entreprises sont occupées à sauver leur peau plutôt que de rechercher des alternants qu’il va falloir former.

Je ne veux pas te laisser là, sur le côté, pensant que personne ne veut de toi, que « le monde » du travail ne veut pas te donner ta chance.

Mon coeur de maman ne résiste pas à l’envie de te tendre la main et tu l’acceptes. Qui a été la plus courageuse de nous 2… finalement je ne sais pas… travailler avec sa mère ce n’est pas non plus un cadeau.
Pourtant je ne regrette rien. Absolument rien, bien au contraire. J’ai vécu une si riche expérience de t’avoir à mes côtés. Je t’ai donné la possibilité de me voir autrement que le « dragon » que j’étais pour toi à la maison, d’apercevoir cette femme appréciée dans son travail, courageuse, déterminée. Combien de fois Je me suis sentie fière de toi et heureuse de te partager « mon petit monde »… ces bons moments ont écrasés les mauvais parce que oui ça n’a pas été un long fleuve tranquille cette année de travail ensemble. Tu m’as donné l’envie d’être meilleure et j’espère avoir réussi à te montrer que l’on peut s’épanouir en travaillant, que l’on peut faire attention à chacun tout en menant sa barque.

D’autres expériences professionnelles à la suite viendront ternir l’effet positif de cette première mais il en restera toujours une trace quelque part, au fond de toi, suffisante j’en suis certaine, pour (r)allumer la flamme quand tu te sentiras être au bon endroit pour rayonner.

Share on facebook
Facebook
Share on twitter
Twitter
Share on linkedin
LinkedIn

2 réponses

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.